L’INDUSTRIE DE LA PIERRE A BÂTIR A CARRIÈRES-SUR-SEINE (Yvelines)
SITUATION ET HISTORIQUE
Situé dans une des boucles de la Seine entre Nanterre et Saint-Germain-en-Laye, CARRIÈRES-SUR-SEINE est resté un village paisible, à peine envahi par les constructions de la banlieue parisienne.
Éloigné des grandes voies de communications et principalement des ponts traversant la Seine, il a su garder son originalité contrairement à ces voisins Bezons, Houilles et Chatou où la voie ferrée et la route ont amené une population de plus en plus nombreuse.
A l’origine QUADRARIA (Forteresse carrée) puis QUARRARRIA et la QUARRIERE, ce village situé dans la falaise de la Seine était peuplé de pêcheurs et d’agriculteurs vivant dans des habitations troglodytiques.
Au 11e et 12e siècle, Carrières est un pauvre domaine, les activités principales sont la culture et les vignobles.
Le premier acte officiel traitant de Carrières est une charte de 1137 de l’Abbé Suger, qui attache tout le revenu de la terre du village à la Trésorerie de l’Abbaye Saint-Denis. La même année, des lettres Royales de Louis VI octroient à Suger le droit de justice. C’est la naissance de la QUARRIERE-SAINT-DENYS. Le village restera sous l’emprise des Abbés de Saint-Denis jusqu’à la révolution.
Au cours des années, les moines agrandissent leurs biens, un moulin à vent fournit la farine. L’église fut élevée à partir de 1226 avec les pierres de la falaise. Elle dépendait de la paroisse de Houilles, village voisin.
En 1250, Suger fit construire une bâtisse, à la fois manoir, grange aux dîmes et lieu de repos pour les moines. Elle reste encore visible face à l’église actuelle.
Au début du I7e siècle, les religieux de Saint-Denis possédaient un quart du territoire soit environ 50 hectares. Les biens sont mis en location aux habitants de Carrières, moyennant une redevance. La vente du vin et de la pierre à bâtir leur apportent des ressources supplémentaires.
En 1789, la France s ’agite. Le 12 février 1790, le premier maire de Carrières est élu.
En août 1791, les biens des moines de Carrières-Saint-Denis sont mis en vente comme bien national.
En 1905, à la demande du Conseil Municipal, le Président de la République accorde le changement du nom en CARRIÈRES-SUR-SEINE. Un journaliste de l’époque explique le changement de vocable pour la résolution d’ennuis postaux : "En effet, maintes et maintes fois, des lettres adressées à des habitants de Carrières filaient directement à Saint-Denis et, de là, erraient lamentablement dans tous les pays désignés par le vocable de Carrières et n’arrivaient finalement à leur destinataire qu’après de bien longues pérégrinations." N’oublions pas que nous étions en pleine période anticléricale.
Un mot est resté inchangé, celui de CARRIÈRES, il indiquera toujours que l’activité principale de la commune était l’extraction de la pierre à bâtir.
UN PEU DE GÉOLOGIE
La coupe géologique du Mont-Valérien à Sartrouville met en évidence l’exploitation possible de ressources minérales.
Au Mont-Valérien (157 m) ont été exploités les sables de Fontainebleau, le gypse pour la fabrication au plâtre et le calcaire grossier. Par contre dans la boucle de la Seine, où se trouve Carrières-sur-Seine, il ne reste qu’un plateau formé de marnes et caillasses et le calcaire du lutétien. Celui-ci affleurant à proximité de la Seine sur toute sa puissance (environ 20 m), le peu de recouvrement des marnes et caillasses sur le plateau (de 1 à 10 m) sont autant de facteurs facilitant son extraction.
Le répertoire des carrières de pierre de taille exploitées en 1889 donne la coupe d’une exploitation située au lieudit "La Plaine" pour une masse exploitée de 4,70 m à 6,00 m :
- Banc blanc 1,00 à 1,40 m
- Banc sorcier 0,50 à 0,60 m
- Deux Bancs grognards 0,80 à 0,90 m
- Banc Jaune 0,80 à 1,20 m
- Banc de Fond pour moellons 0,80 à 1,00 m
C’est un calcaire un peu coquillier, blanc grisâtre ou jaunâtre, à grain fin et régulier.
Le poids moyen est de 1460 kg par m3 et la résistance moyenne à l’écrasement de 47 kg/cm2. Il est à classer dans les calcaires tendres.
HISTORIQUE DES EXPLOITATIONS
Voici quelques faits et extraits de documents permettant de préciser l’importance des exploitations de pierre à bâtir au cours des siècles.
Avant la charte de 1137, aucun élément ne permet de dire si la pierre a été extraite à Carrières-Saint-Denis. Il est fort probable que les quelques habitations en pierre proviennent de blocs tirés de la falaise. A proximité de la mairie se trouvent encore des habitations troglodytiques.
Viollet-le-Duc indique que la basilique Saint-Denis a été construite avec le liais provenant de Carrièes-Saint-Denis vers 1140. Notons au passage que cette basilique a été le premier grand édifice bâti selon le principe de la voûte d’ogive.
L’église et la grange aux dîmes ont été élevées avec des pierres prises à proximité.
Tout proche se trouvent des murs de soutènement de la même facture pouvant très bien être construits à cette époque.
En 1643, un acte notarié du trésorier de Saint-Denis fait état de plusieurs trous de carrières dans une pièce de terre vague au lieudit "Les Ruelles", malheureusement ce nom ne figure plus sur le cadastre.
Le registre paroissial du 23 novembre 1690 relate le décès dans une carrière d’un jeune garçon de 25 ou 26 ans natif du pays du "Perigort".
La carte de l’Abbé Delagrive établie en 1740 représente 4 échancrures en retrait de l’actuelle rue Gabriel Péri entre l’église et la rue du Moulin et également 2 autres au bord de la rue du Moulin. A ces endroits se trouvent des entrées en cavage utilisées de nos jours comme entrepôt par les propriétaires.
Comme le montrent les plans de l’Inspection des Carrières des Yvelines, cette zone est sous-minée. Vue la configuration du terrain, l’exploitation a d’abord été à ciel ouvert puis s’est poursuivie en souterrain, par bouche de cavage. Elle est donc antérieure à 1740. On remarque également sur la carte de l’Abbé Delagrive, un espace avec chemin d’accès près de l’actuelle rue Victor Hugo, face à la rue de l’Abreuvoir : ce peut être une carrière à ciel ouvert. Ce sont les seules traces possibles de carrières sur le territoire de la commune.
RÉPARTITION DES ZONES FOUILLÉES
Superficie de la commune 506 ha
Zones fouillées : 76 ha soit 15% de la superficie de la commune qui se repartissent :
- à ciel ouvert : 12 ha soit 16%
- par hagues et bourrages : 20 ha soit 26%
- par piliers tournés : 44 ha soit 58%
En 1775, la pierre pour construire le pont de Neuilly a été prise dans une pièce de terre louée par l’Abbaye Saint-Denis à Carrières.
Louis Jouan écrit dans son histoire de Carrières-sur-Seine :
" En 1811, notre région regroupe 29 carrières différentes à la fin de l’Empire. Ce sont essentiellement des entreprises familiales qui produisent en vue de la construction locale… Vers la fin du 19e siècle, les pierres extraites sont employées lors de la reconstruction de la façade de l’église de Sartrouville, à Saint-Denis, à Argenteuil, à Paris pour l’édification des fortifications ainsi que pour la réalisation des ouvrages du chemin de fer de Paris à Rouen".
Monsieur de Sénarmont indique dans son "Essai d’une description géologique" la présence de 7 carrières souterraines, avec 20 ouvriers en 1844.
En mai 1848, le secrétaire de séance du conseil municipal écrit : "Les exploitations de pierre à bâtir qui occupaient ici un grand nombre d’ouvriers, se trouvent par suite des affaires politiques, sans avoir aucune espèce de livraison à faire, circonstances qui mettent toutes les familles des ouvriers carriers dans un état de misère difficile à dépeindre."
A partir de 1850, Haussmann commence à réaliser tous les grands travaux d’aménagement de Paris. La pierre nécessaire à ces nouvelles constructions provient de l’Aisne, de l’Oise, de Seine et Oise, et notamment de Carrières-Saint-Denis.
La consultation du dossier " Carrières " du service technique de la ville permet de retrouver quelques informations.
Un plan d’une carrière par hagues et bourrages au Lieudit "Les bornes Grise" (Rue du Maréchal Leclerc) porte dans certaines galeries des dates comprises entre mai 1854 et février1858. Elles représentent peut-être les dates d’exploitation.
En 1859, un plan est joint à une demande de permission d’extraction au lieudit " Le Puisard" entre le Boulevard Carnot et la Rue A. Briand : il fait déjà état de quelques "vides de carrières". Un autre plan dressé en septembre 1866 et complété en août 1882, montre l’exploitation telle qu’on la trouve actuellement, elle porte le nom de Carrières des Milles Colonnes. C’est une exploitation par pilier tourné se poursuivant par hagues et bourrages. Sur une petite surface on a extrait le banc de roche.
Un plan de novembre 1859 complété en 1860, 1861, 1862 et 1865 décrit une carrière par hagues et bourrages au lieudit "Les Terrasses" entre les rues Félix Balet et Maréchal Foch. Une carte postale des environs de 1905 montre une carrière à ciel ouvert abandonnée et les entrées en cavage de cette même carrière souterraine, transformée en champignonnière.
En août 1868, Etienne Lucand, Maître carrier et Ernest Sarazin, cultivateur demande au Maire de Carrières-Saint-Denis l’autorisation d’ouvrir une carrière souterraine au Lieudit "La Plaine". L’exploitation aura lieu par puits, la pierre tendre à exploiter à une hauteur de 5 à 6 mètres et se trouve recouverte de 2 à 4 mètres de terre calcaire.
Le 20 février 1905, A. Veyssade, habitant Vanves, demande l’autorisation d’ouvrir une carrière de pierre dure au lieu-dit "Les Bornes Grises" II se conforme ainsi aux prescriptions de l’article 2 du décret du 15 juillet 1891, règlementant les carrières de Seine-et-Oise.
Des cartes postales du début du siècle nous montrent des treuils de carrière en exploitation avec blocs de pierre, charriots, 3 chevaux et ouvriers.
En conclusion, l’exploitation de la pierre à bâtir à Carrières-sur-Seine a débuté de manière intensive à partir de I800 -I820, s’est accrue pour atteindre son apogée vers 1870 - 1900, puis s’est arrêtée brusquement entre 1920 et 1940 : le ciment ayant remplacé la pierre.
MÉTHODES D’EXPLOITATION
A Carrières-sur-Seine, on trouve deux types d’exploitation : les carrières à ciel ouvert et les carrières souterraines.
Les carrières à ciel ouvert sont situées près du coteau. Le calcaire affleurant la falaise a été directement exploité. Les terres situées au-dessus et de faible épaisseur ne gênent pas l’avance : elles servent à combler la carrière. Les secteurs ainsi exploités sont compris entre la route de Chatou et la rue Victor Hugo au lieudit "Le Trou-sans-Bout", à proximité du village près de la rue Gabriel Péri et au lieudit "Les Terrasses" entre les rues Aristide Briand et Félix Balet.
Lorsque les terres de recouvrement sont importantes, leur retrait devient onéreux, alors à partir de la carrière à ciel ouvert, l’exploitation se poursuit en souterrain avec la méthode dite " par piliers tournés " : des piliers de masse calcaire sont laissés de proche en proche pour maintenir le ciel des carrières. Ces exploitations se trouvent dans le village, derrière les maisons bordant la rue Gabriel Péri et vers la rue du Moulin. D’après la carte de L’Abbé Delagrive, elles sont antérieures à 1740.
Le calcaire peut-être aussi atteint à partir du plateau en creusant un puits. On trouve de petites exploitations par piliers tournés se limitant parfois à une seule galerie sous les maisons situées en haut du village. Il est fort probable que la pierre extraite a servi à la construction de la maison située au-dessus ou a été vendue pour payer les maçons.
On trouve également ces petites exploitations en bordure de la route de Saint-Germain vers Montesson. Elles comportent de 1 à 3 puits d’extraction situés en ligne et espacés d’une vingtaine de mètres. L’accès des ouvriers se fait toujours par un autre passage que le puits d’extraction : une galerie en pente douce, un escalier droit ou un petit puits à échelons. Ces carrières ont donc été exploitées après la règlementation interdisant la descente des ouvriers par le puits d’extraction.
L’accès à la carrière peut également être une pente suffisamment douce pour permettre la sortie des pierres sur un charriot tiré par des chevaux. Ces carrières sont toutes situées aux lieudits "La plaine" et "Le Petit Bois". Au lieudit "Les Alouettes" l’accès se fait soit en pente douce, soit par puits.
La hauteur moyenne des vides d’une carrière par piliers tournés est de 5 m, elle varie entre 2,50 m et 8 m. La largeur des galeries est de 4 à 5 m.
Les carrières souterraines peuvent être exploitées par la méthode dite "par hagues et bourrages" aussi appelée carrière à pierre dure. On enlève sur toute la surface le banc de pierre recherché, on maintient le ciel de carrière par des piliers à bras, blocs de pierre brute superposés, puis on comble les vides avec des bourrages, déchets de l’exploitation ou remblais amenés de l’extérieur maintenu par des hagues, murs en pierre sèche. Il ne reste alors que l’atelier d’extraction et les galeries de circulation vers le puits. Ces carrières peuvent avoir deux étages superposés correspondant à deux bancs de pierre dure.
La hauteur moyenne des vides est de 2 m, elle varie entre 1,40 et 2,50 m. Lorsque la hauteur d’exploitation est faible, tes galeries de circulation peuvent être sous-creusées pour permettre le passage des blocs.
Les carrières par hagues et bourrages sont situées entre les rues Maurice Berteaux, Général Leclerc et te Boulevard Carnot aux lieudits "Les Plants de Catelaine", "Les Bornes Grise","Les Crières".
TECHNIQUES D’EXTRACTION
Du 12e au 18e siècle
Les vestiges des exploitations de cette époque sont rares et ont souvent disparu suite à une remise en service de la carrière, ou un réaménagement ultérieur. Les seuls témoins de cette époque sont les habitations troglodytiques près de l’école Rue Victor Hugo et une entrée en cavage au fond de la propriété numéro 40 de cette même rue. L’extraction a été réalisée en souterrain par bouche de cavage. Les bancs ont été extraits les uns après les autres selon les lits (fine pellicule horizontale plus tendre séparant deux bancs de pierre). D’abord le carrier retire en le désagrégeant un banc tendre sous les blocs à extraire, puis au moyen de coins ou de leviers engagés dans le lit supérieur il fait tomber le bloc, celui-ci se découpe selon des failles naturelles ou réalisées par le carrier. Les bancs de pierre sont ainsi enlevés successivement en montant.
La dimension de la pierre extraite diminue au fur et à mesure de l’élévation. L’entrée en cavage et les piliers tournés se présentent donc sous forme de trapèze à découpe à ressauts, la grande base étant au pied de ta carrière. La hauteur est de 2 à 5 mètres.
Les blocs ainsi extraits sont de l’épaisseur du banc : 20 à 40 cm pour 50 cm à 1 m de côté, de forme irrégulière. Ils sont ensuite débités en moellons. Les outils principaux sont le pic et le marteau de carrier.
Au 19e et début du 20e siècle
A partir du I9e siècle pour les grands travaux, les entrepreneurs demandaient des blocs de bonne qualité et de plus grande dimension, généralement un volume de 1 à 5 m3 soit 1,5 à 7 tonnes de pierre. Cela est devenu possible grâce à l’évolution de la technique.
La carrière à ciel ouvert au lieudit "Le Trou sans Bout" où se trouve actuellement la résidence Monceau, garde encore des traces d’exploitation : des gradins avec saignées, des caves et aculs (vastes niches) résultant des blocs retirés.
La méthode dite par gradin droit, consiste après avoir enlevé les terres de recouvrement, à délimiter le bloc à extraire par des saignées réalisées à l’aiguille, barre de fer de 2 à 3 cm de diamètre et 2 m de longueur tenue verticalement ou du "lanqueto" pic à deux pointes aplaties. Le bloc est décollé du banc inférieur selon un lit au moyen d’une barre à louper, levier de 2 m à 3 m de longueur pesant 180 kg et manœuvré par plusieurs ouvriers. Il est soulevé, mis sur des rouleaux de bois ou des boules d’acier pour être entreposé provisoirement. On commence par retirer le banc supérieur, puis les autres en descendant. L’exploitation se présente sous forme de gradins ou d’escalier.
La carrière est aussi exploitée par cave et acul ceci peut être le départ d’une exploitation souterraine. Le premier banc de pierre est conservé pour maintenir les terrains supérieurs. Deux entailles verticales et une entaille horizontale délimitent le bloc. Celui-ci est décollé du banc supérieur au moyen de coins. Les blocs sont retirés de côte à côte, la niche formée s’appelle acul.
Dans les carrières souterraines, les carriers ont d’abord utilisé l’aiguille. Elle permettait la réalisation de tranchées délimitant le bloc à extraire. Son maniement en souterrain est plus délicat qu’à ciel ouvert. L’aiguille, tenue horizontalement est projetée contre la masse en glissant sur un piton. L’ouvrier déplace le piton au fur et à mesure de l’agrandissement de la tranchée.
Vers 1860, Félix Civet, entrepreneur carrier, généralise l’emploi de la lance dans les départements de l’Oise et de l’Aisne. Cet outil plus efficace a été très rapidement adopté à Carrières-sur-Seine. La lance est une amélioration de l’aiguille. C’est une barre de fer de 4 à 5 cm de diamètre, de 1,25 à 4 m de longueur, pouvant être munie d’un bec amovible, suspendue horizontalement par une chaine à un échafaudage léger. L’ouvrier attire la lance en arrière, vers lui, puis la laisse repartir en dirigeant la pointe vers le lieu d’attaque. Suite aux percussions répétées, il réalise une entaille de 50 cm de profondeur et 10 cm de hauteur. La lance est montée de 10 cm et l’opération continue.
Par cette technique un ouvrier peut extraire 1 m3 de pierre par jour.
La première opération pour délimiter le bloc est la réalisation du four, cavité de 15 à 30 cm sous le bloc à extraire pour y placer des triolons, boules de fer de 15 cm de diamètre destinées à faciliter son déplacement. Puis l’ouvrier réalise deux tranches verticales de chaque côté jusqu’au ciel de carrière. Le bloc est décollé du banc supérieur selon les lits ou isolé avec une tranche horizontale. Il est reçu sur les triolons et déplacé avec la mécanique, treuil à chaîne muni d’une manivelle et pouvant tracter 10 tonnes.
Lorsque la hauteur de l’exploitation est importante, le bloc est coupé en deux et les deux parties sont sorties séparément. Les blocs inférieurs peuvent aussi être délimités à l’aiguille comme pour la méthode des gradins droits.
Les blocs correspondant aux bancs de bonne qualité sont conservés entiers ou coupés en deux ou trois pour faciliter le transport ou la demande. Par contre les autres blocs sont découpés en moellons.
Un moellon est un bloc de pierre de 10 à 25 cm de hauteur, dont la largeur et la longueur sont respectivement le double et le triple de cette hauteur. Les moellons peuvent être bruts, ébousinés lorsqu’on les taille légèrement, smillés pour une taille plus propre ou piqués. Les moellons piqués de Carrières-saint-Denis étaient réputés pour leurs arêtes vives et bien dressées. Ils sont directement utilisables pour la construction.
En une journée de 10 heures, un piqueur de moellons peut en tailler 50, soit environ 4 m2 de parement. Il établit d’abord un chantier, petit massif en pierre sèche de 50 cm de hauteur sur lequel il place le moellon à tailler. Le bloc est dégrossi à la hachette, les faces sont dressées à la laye et misent d’équerre.
Extraction de la pierre après 1945
Les progrès de la technique ont facilité le travail des carriers. L’extraction se fait avec une haveuse, soit à lame de 2 à 3 mètres de longueur actionnée par un moteur. Les blocs sont toujours délimités avec la réalisation d’un four et de tranche. Le gain de temps est considérable.
SORTIE DE LA CARRIÈRE
Dans les carrières où l’accès en pente douce permet la circulation des charriots, les blocs sont directement charges et emmenés à leur destination.
Dans les carrières souterraines par puits, les blocs sont déplacés sur des roules (rouleaux de bois), tirés à la mécanique et guidés par des crics nommés levrettes. Cette opération est assez pénible et difficile, souvent, au fur et à mesure de l’extension de l’exploitation, les carriers creusent d’autres puits d’extraction.
Ces puits sont ronds, ovales ou rectangulaires, ils ont à la base 4 à 6 mètres et se rétrécissent à 3 ou 4 mètres en arrivant à la surface. Cette forme en goulot permet le balancement des blocs sans qu’ils ne puissent toucher les bords lors de leur ascension.
La forme allongée de la section est imposée par l’enroulement du câble le long du treuil.
L’arbre du treuil est démultiplié et retransmis par l’intermédiaire de pignons à renvoi d’angle à un axe vertical autour duquel tourne un cheval les yeux bandés. Un cliquet anti-retour évite la descente du bloc. Le cheval, habitué à cette manœuvre remonte seul la charge, s’arrêtant à son aise. Ainsi en une demi-heure, il remonte une pierre de 5 tonnes sur une hauteur de 20 mètres.
Arrivé en surface, les ouvriers recouvrent le puits de madriers, posent le bloc sur des roules et vont l’entreposer sur la "forme" de carrière, plateforme surélevé du sol permettant le chargement direct sur des charriots. Là, les blocs vont perdre leur eau de carrière.
TRANSPORT DE LA PIERRE
De la carrière, les blocs sont chargés sur des fardiers tirés par des chevaux et prennent la direction du chantier de construction, du port au pierre sur la Seine ou la gare de Houille, pour une destination plus lointaine. Un fardier transporte généralement 6 à 8 tonnes de pierre.
Il est tiré par 5 à 6 chevaux : Le plus fort, appelé "limonier", tient la direction du charriot, au devant 2 "chevaux de cheville" tractent la charge, ils sont précédés du "cheval de flèche" dirigeant le convoi. Le cheval de flèche docile et expérimenté se met en travers, dès l’arrêt de l’attelage, immobilisant ainsi les autres chevaux. Parfois le limonier est aidé dans les manoeuvres difficiles par le "galérien", celui-ci tracte normalement la charge à côté des chevaux de cheville, mais peut faire tourner le limon à droite ou à gauche pour permettre au fardier de prendre un virage. Les attelages sont groupés par 2 ou 3, de sorte que dans les côtes, les 3 charretiers disposent d’un groupe de 12 à 18 chevaux pour tirer un charriot en difficulté. Un attelage peut faire 30 km dans une journée de 10 heures.
Mais l’état des routes ne permettait pas toujours le transport sur de longues distances. Alors la pierre est amenée au port au pierre situé le long de la Seine, vers la rue de l’Abreuvoir et au bout de la rue du Port Bertrand. Les blocs sont chargés sur des chalands et se dirigent vers le port au pierre de Paris près du Pont de la Concorde.
La circulation de tels attelages dans les rues de Carrières pose des problèmes. Le 15 septembre 1842, suite à des plaintes de plusieurs habitants, le Maire interdit la descente de la Rue de Fanil entre l’Eglise et la rue du Port Bertrand aux voitures chargées de moellons ou autres matériaux de carrière tirées de plus de un cheval. Cette rue étroite et rapide offre des difficultés insurmontables aux voitures et peut conduire à de graves accidents. Il est conseillé de prendre la rue de Paris menant également à la rivière.
Le 14 novembre 1847, le Conseil municipal instaure un droit sur le stationnement des bateaux au port de Carrières. Celui-ci est prélevé sur les chargements et déchargements de marchandise. On peut penser que le trafic est important.
Après la construction de ligne de chemin de fer de Paris Saint-Lazare à Rouen, les blocs sont amenés à la gare de Houilles.
Le répertoire des carrières exploitées en 1889 indique que la pierre coûte 15 Francs le m3 en carrière et 18 Francs en gare ou au port.
A partir de 1930, le transport se fait par camion.
LES CHAMPIGNONNIÈRES
A Carrières-sur Seine, l’utilisation la plus importante des vides d’exploitation a été la culture des champignons de Paris. A partir du milieu du I9e siècle dans les carrières de Paris et de la proche banlieue se développe de manière intensive cette nouvelle culture. Les vides de carrières sont nombreux, le fumier de cheval nécessaire se trouve en abondance, les Parisiens aiment les champignons et malgré les difficultés, les sommes à gagner sont considérables Carrières n’a pas échappé à la règle, toutes les carrières abandonnées ont été transformées en champignonnière.
Le champignon de Paris se cultive sur du fumier de cheval préalablement fermenté et stérilisé de toutes substances nuisibles. Le champignon est très sensible aux maladies, aux parasites, la moindre épidémie détruit entièrement la récolte. Les parois de la carrière sont minutieusement nettoyées et passées au lait de chaux. Le fumier, descendu dans la carrière, est disposé en tas réguliers, les meules, et ensemencé de blanc de champignon. Le mycélium va envahir toute la meule, la température du fumier en fin de fermentation facilite cette propagation. Au bout de 2 à 4 semaines le champignonniste recouvre les meules d’un mélange finement broyé de terre et de calcaire qui stoppe cette prolifération. Cette opération nommée gobetage, très délicate, déclenche le développement du champignon. Après 6 semaines, le champignonniste commence la cueillette ; il choisit ceux qui sont à la limite de s’ouvrir qu’ils soient petits ou grands. La cueillette journalière se poursuit pendant 2 à 3 mois. Lorsque la quantité devient faible, le champignonniste enlève les meules qui servent de terreau pour les maraîchers, nettoie la carrière et un nouveau cycle de culture peut commencer.
Actuellement, cette méthode n’a guère changé, par contre la mécanisation a facilité certaines opérations. Le fumier est disposé dans des sacs en plastique isolés les uns des autres évitant la propagation d’une maladie.
En 1983 des champignonnières sont en activité au lieudit "La plaine" ou Monsieur Maurice Sarazin avec 5 personnes cueillent jusqu’à 500 kg de champignons par jour. Mis directement dans les paniers d’expédition, les champignons sont stockés provisoirement en chambre froide et envoyés sur les marchés parisiens lorsque la quantité est suffisante.
A Carrières-sur-Seine, en 1909 les champignonnistes étaient au moins au nombre de 7 :
Charles Eragnes, Désiré Eragnes - Réuss, Daubin, Ballagni, Voillereau, Bourguignons frères. Depuis 1891, les ouvriers se sont réunis en "Un Syndicat des Ouvriers Champignonnistes et similaires (cultivateurs et maraîchers ) de Carrières-sur-Seine, Houilles et Montesson," dont le siège social était 50 Grande Rue à Carrières.
Le 16 septembre 1909, suite à une réunion tenue à Paris, les ouvriers champignonnistes des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise se mettent en grève. La correspondance échangée par le Maire, Monsieur Galli, n’en indique pas les causes. Les ouvriers syndiqués débauchent les non-syndiqués et certains patrons champignonnistes demandent au Maire la protection de leur culture et des charretiers chargés du transport du fumier et des champignons. Les 18 et 22 septembre eurent lieu des réunions entre le syndicat et le maire, puis avec les exploitants champignonnistes. Le 24 septembre arrivent 26 gendarmes envoyés par la préfecture. Certains ouvriers reprennent le travail mais les pertes de récolte sont importantes : de nombreuses couches doivent être vendues pour les maraîchers, il faut recommencer un cycle de culture soit une perte de 1 à 2 mois de récolte.
Le 1er octobre, une solution est trouvée puisqu’un contrat est signé entre le syndicat et les patrons. Il fixe la durée journalière du travail à 10 heures, les salaires horaires de 0,60 F à 0,65 Francs et 1 Francs pour les heures supplémentaires, le repos hebdomadaire le dimanche sauf pour les cueilleurs et charretiers qui le prennent par roulement, le régime des accidents du travail sous l’égide de la loi de I898 - I905, les possibilités d’acomptes pour les ouvriers et la suppression de la profession de marchandeur (ou tacherons). De plus aucun ouvrier ne sera renvoyé par fait de grève.
La grève a donc duré 15 jours, les champignonnistes ont du avoir de nombreuses pertes et la Mairie de Carrières a dépensé 274 Francs pour le séjour des gendarmes (192 F de nourriture à 0,50 F par jour 42 F de couverture et 40 F de paille).
L’ARSENAL
Une partie des carrières situées au lieudit "Les Alouettes" a été utilisée par l’armée : en 1929 le ministère de l’air occupe 25 ha de galeries souterraines. En 1940, la marine de guerre allemande s’installe dans ces carrières. Elle utilise des ouvriers français pour la réalisation de consolidations et le percement de puits d’aération. Le 8 décembre 1942, huit ouvriers français sont morts suite à un effondrement d’un ciel de carrière.
Le 25 août 1944, les troupes d’occupation quittent l’arsenal et font sauter les installations. Le système de mise à feu a été saboté, la déflagration a quand même été terrible : une porte métallique de plusieurs tonnes est projetée près du cimetière, soit à plus de 700 m. Jusqu’en septembre 1944, les F.F.I. s’installent dans ces carrières. A partir du 1er juin 1946, la Marine Nationale occupe l’arsenal et réquisitionne 22 ha de terrains. Cela deviendra en 1948 le Centre du Commandant Mille.
LES HABITATIONS TROGLODYTIQUES
Les habitations troglodytiques Rue Victor Hugo, prés de l’école vers 1900 et en 1983
NOSTALGIE
Que reste-t-il en 1983 des anciennes exploitations de pierre à bâtir à Carrières-sur-Seine ?
Promenons-nous dans "Le village" : Rue du Port Bertrand ancien port au pierre. Résidence " La pierre", rue de la Forme, à l ’entrée se trouve un puits d’extraction, rue de la Butte, des habitations troglodytiques, les murs de calcaire absolument droits d’une exploitation à ciel ouvert…
Plus loin sur le plateau, une terrasse en pierre, deux piliers formes de blocs superposés, au centre un trou recouvert de planches, ce sont les vestiges de l’ancienne forme de la carrière des Alouettes, à côté les cheminées d’aération d’anciennes champignonnières.
Les habitants de Carrières-sur-Seine ont encore le souvenir des puits d’extraction en activité, des charriots de pierre se dirigeant vers la gare de Houilles, des rassemblements dans les carrières lors des alertes de la dernière guerre… l’explosion de l’arsenal en 1944.
Regardons le blason de la commune : trois marteaux de carrières posés sur la rivière, et surmonté d’un clou entouré de deux fleurs de lys.
A l’angle du Boulevard Maurice Berteaux et du chemin des Crières se trouve l’entrée d’une carrière qui présente un intérêt particulier.
Après avoir descendu la galerie d’accès en pente douce, nous débouchons dans une petite exploitation par piliers tournés, nous passons sous le puits d’extraction de section rectangulaire et recouvert en surface, sur la gauche se trouvent des meules de champignonnières parfaitement conservées. Une pente douce et nous nous trouvons dans une exploitation par hagues et bourrages. En poursuivant les galeries sous creusées pour permettre un passage facile, dans un recoin se trouve un petit réservoir d’eau et un braséro de champignonniste. Un escalier taillé dans la masse calcaire conduit à un étage inférieur. Un puits d’extraction rond en forme de goulot avec communication avec l’autre étage de carrière permettait la remontée des matériaux.
Voici une description un peu longue, mais cette carrière regroupe dans un espace restreint, une synthèse de l’exploitation de la pierre dans la commune. Seul manque le manège permettant la sortie des matériaux, il serait facile à reconstituer. Si la municipalité le désire, elle pourrait faire en ces lieux le témoin de l’extraction de la pierre à bâtir à Carrières-sur-Seine.
EXPOSITION DE JANVIER 1983
Le 22 janvier 1983 dans la salle, du Conseil Municipal de la Mairie de Carrières-sur-Seine, Monsieur le Maire Michel Saussard inaugurait en présence du Conseil Municipal, du Comité Historique, de la SEHDACS et de nombreuses personnalités, l’exposition :
"L’HOMME, SON MILIEU ET HISTOIRE DE CARRIÈRES-SUR-SEINE de "1137 à 1983"
Cette exposition réalisée par le Comité Historique présidé par Monsieur Danielou, Conseiller Municipal, fait une rétrospective des grands faits historiques et des activités importantes de la Commune au cours des siècles. Agrémentée de nombreux documents, anciens plans, reproduction de cartes postales, outils de travail, elle présente successivement à ses visiteurs :
- L’’historique du village
- L’abbaye, la moulin
- Louise de Lavallière a-telle habitée carrières ?
- Le retable du 12e siècle
- La culture de la vigne et l’exploitation des carrières.
De nombreux outils de carriers et de champignonnistes donnés au Comité Historique par des habitants de Carrières et restaurés à la perfection par le centre handicapé accompagnent la maquette de roue de carrière.
Le succès de cette exposition a été important, prévue à l’origine du 22 au 31 janvier, elle a du se poursuivre jusqu’au 2 février permettant ainsi la visite des écoles.
Cette présentation des exploitations de pierre à bâtir à Carrières-sur-Seine ne peut-être qu’une première approche, cette étude ne demande qu’à être poursuivie. L’analyse de documents d’archive et une enquête auprès des habitants permettra de la compléter.
Je tiens à remercier Monsieur Maurice Sarazin, ancien carrier et champignonniste qui a bien voulu nous recevoir et le Comité Historique de Carrières-sur-Seine, principalement Messieurs, Danielou, Boiteux et Arnoux pour leurs recherches en archive et Monsieur Marsali pour la visite de son moulin.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUE
(1) LOUIS JOUAN : Histoire de Carrières-sur-Seine, Municipalité de Carrières-sur-Seine, 1978.
(2) PIERRE NOËL : Technologie de la pierre de taille, Société de diffusion des techniques du bâtiment et des travaux publics, Paris, 1968
(3) PIERRE NOËL : Les carrières françaises de pierre de taille, Société de diffusion des techniques du bâtiment et des travaux publics, Paris, 1970.
(4) AUGUSTE ROBIN : La Terre, ses aspects, sa structure et son évolution, Librairie Larousse, environ 1910 -1920.
(5) MINISTERE DES TRAVAUX PUBLICS : Répertoire des carrières de pierre de taille exploitées en 1889, Librairie Polytechnique, Baudry, Paris 1890.
(6) PAUL POIRE : La France industrielle, Hachette et Cie, Paris 1875, 2e édition.
(7) J. CLAUDEL et L. LAROQUE : Pratique de l’art de construire, Dunod, Paris, 1870 - 4e édition.
(8) Documents du Comité Historique du Carrières-sur-Seine.
Toutes les photos ont été prises en 1983.