INSCRIPTIONS ET GRAFFITI DANS LES CARRIÈRES DE PARIS
INTRODUCTION
L’étude des inscriptions dans les carrières parisiennes est un travail de longue haleine. Les quelques 300 kilomètres de galeries parcourant Paris sont recouverts d’une multitude de signes parfois presque illisibles. L’idée d’en faire un relevé systématique est venue dès la création de la S.E.H.D.A.C.S. (Société d’Etude Historique des anciennes Carrières et Cavités Souterraine). sous la forme d’un inventaire essayant de donner une image la plus précise possible au site étudié, tant sur le plan des techniques d’extraction que des consolidations, inscriptions et graffiti.
La définition de ce site est facilitée par la similitude du sous-sol avec les rues de Paris. Le choix s’est d’abord porté sur des ensembles isolés, petites carrières, où il est plus facile de faire une synthèse, puis sur des galeries consolidées à une période précise, enfin sur des sites destinés à être comblés, réalisant ainsi des inventaires de sauvetage. Les premiers relevés ont permis le choix des termes et des définitions ; ils furent de plus en plus précis pour arriver à un glossaire et à une méthode. Le dossier d’inventaire se présente donc sous forme d’une suite d’informations classées en fonction du parcours des galeries et de leur nature, le tout accompagné de photographies.
L’étude qui vous est proposée, correspondant à une vingtaine de dossiers réalisés en 6 ans, est une première synthèse des indications techniques et des graffiti que l’on peut rencontrer dans les carrières de Paris et de sa proche couronne. Elle ne peut être en aucun cas exhaustive. Portant sur 10 kilomètres de galeries, elle donne quand même une idée assez précise du sujet.
Lorsque cela est possible, un essai d’explication et de datation principalement obtenue par comparaison est proposé. Ces commentaires pourront être remis en cause au fur et à mesure des recherches car à chaque inventaire des signes nouveaux apparaissent pouvant modifier des interprétations ou donner une explication à des signes déjà relevés. Cette étude est d’autant plus difficile qu’il existe très peu de documents d’archives venant l’appuyer et que l’auteur d’un graffiti ne va pas déposer son inscription à la Bibliothèque Nationale.
Je remercie tous les membres de l’association qui ont participé aux relevés et à la rédaction de ces dossiers ; sans eux, cette synthèse n’aurait pu voir le jour.
GRAFFITI ET INSCRIPTIONS TECHNIQUES
Le terme graffito, de racine latine (graphium : poinçon) apparaît en 1866 dans le Littré. Emprunté à l’italien, il est souvent utilisé au pluriel : graffiti. C’est "l’expression spontanée en creux ou en relief faite sur un support, en principe vertical, avec un objet non approprié". Les graffiti sont donc des dessins, des inscriptions laissées par des individus sur un mur au moyen d’un objet pointu. Par extension, ils peuvent être crayonnés ou peints.
Il faut insister sur la notion d’expression spontanée ou de gratuité de réalisation. Les graffiti représentent des scènes plus ou moins stylisées, des objets, des animaux mais aussi des signes religieux, mystiques dont certains sont particulièrement hermétiques. Il faut donc exclure de cette définition les signes réalisés pour un but bien précis : marques de tacherons, repères d’assemblage, signes techniques, repères de topographie. Pour certains, il est difficile d’en faire la part, de sorte qu’une inscription cesse d’être un graffito lorsque l’on a trouvé sa raison d’être.
MOYENS D’ÉCRITURE
Un parcours dans une galerie souterraine nécessite un moyen d’éclairage : chandelle, bougie ou lampe à huile ; pour cette raison, les inscriptions les plus anciennes sont pour la plupart réalisées au noir de fumée. Le fait d’approcher une flamme contre une paroi provoque un dépôt de carbone d’un noir intense d’environ 2 centimètres de largeur. L’endroit le plus propice est le ciel de la carrière, la bougie étant tenue normalement, le suif ne coule pas sur les doigts.
Les inscriptions sont assez grandes, la hauteur des lettres est souvent comprise entre 10 et 30 centimètres. Quant aux dessins, leur grandeur dépend des détails que veut lui donner son auteur, ils peuvent avoir 5 mètres de longueur.
Un autre moyen d’écriture largement utilisé est le dépôt par grattage c’est à dire à l’aide de crayon, fusain, charbon de bois ou sanguine (crayon à base d’ocre rouge). Là se pose le problème de l’usure plus ou moins rapide du dispositif d’écriture. Un visiteur écrit avec ce qu’il a dans sa poche, souvent les inscriptions au crayon noir sont sur des surfaces lisses comme les plaques de rue ou une consolidation bien taillée, le trait a une épaisseur de l’ordre du millimètre. Sur les surfaces rugueuses, front de masse ou moellon simplement équarri, le trait est plus large, de 3 à 5 millimètres, réalisé au fusain, au crayon de charpentier ou même à l’aide d’un morceau d’ardoise
L’utilisation de la peinture nécessite le transport de tout un matériel, récipient et pinceau. Les inscriptions de ce type sont rares, à moins qu’elles ne correspondent à un but bien précis repères de topographie ou fléchage. Depuis quelques années, les peintures sous forme aérosol d’un transport facile sont largement utilisées.
La gravure, origine de la définition de graffiti, est presque inexistante dans les carrières parisiennes. La dureté de la pierre, son grain grossier demandent un outillage adapté. Le simple trait réalisé avec une pointe est pratiquement imperceptible.
LONGÉVITÉ DÉS INSCRIPTIONS
La durée de lisibilité des inscriptions gravées est très grande, pratiquement illimitée. Par contre les autres, réalisées par dépôt de matière, sont plus précaires. Certaines de plus de 3 siècles sont parfaitement lisibles alors que d’autres, de quelques dizaines d’années, sont pratiquement indéchiffrables. De par sa nature, le milieu souterrain est favorable à la conservation des inscriptions, température constante de l’ordre de 13 degrés, absence totale de lumière empêchant toute photosynthèse et vie animale ou microscopique presque absente.
A part le remaniement des carrières par les travaux de consolidation, les causes de dégradation sont l’eau et les poussières. Le taux d’humidité important doit intervenir dans la disparition progressive mais relativement lente des inscriptions. Les plus anciennes ont environ 300 ans. L’eau d’infiltration tombant goutte à goutte du ciel de la carrière emporte à chaque fois des particules provoquant une destruction très rapide de l’inscription. Une dizaine d’années peut la faire complètement disparaître. Les poussières portées par les légers courants d’air, toujours présents dans les galeries, se déposent sur les parois en une fine pellicule qui diminue le contraste. Il est fort probable que les gaz d’échappement des moteurs à combustion (autrefois charbon et maintenant essence) pénètrent dans les galeries par les trous des trapons en fonte de la voie publique.
A part les inscriptions apocryphes qui sont très rares mais reconnaissables, les dates sont nombreuses. Lorsque seuls les deux derniers chiffres de l’année apparaissent, le siècle est déterminé par la calligraphie et la comparaison par rapport à d’autres inscriptions. Une inscription non datée ne peut être située qu’entre des points de repère, d’abord postérieure ou antérieure à la consolidation si elle repose dessus ou se trouve partiellement recouverte, puis par comparaison de contraste avec d’autres inscriptions datées et de même nature. Cette méthode s’applique bien pour le noir de fumée lorsque l’environnement est assez dense.
INSCRIPTIONS DE CARRIERS
Sans lui, la carrière ne peut exister, travailleur manuel, ne sachant souvent pas écrire, faisant une besogne pénible, déplaçant des blocs de plusieurs tonnes pendant 10 à 14 heures par jour, cet homme n’a guère le temps et le loisir de nous faire-part de son état d’âme en traçant des graffiti sur son lieu de travail. Par contre il peut indiquer des signes techniques divers : repères de longueur pour dé-couper les blocs à la demande, une barre chaque fois qu’il en extrait un. Les inscriptions que l’on peut attribuer aux carriers sont rares, parfois des dates ou des initiales réalisées au noir de fumée en ciel de carrière. Lorsqu’elles apparaissent, elles sont toujours multiples, ainsi on suit par année l’agrandissement de l’exploitation, les dates les plus récentes étant sur le front de taille. Parfois il dessine ses outils de travail : pic, pelle, lampe.
Les plus anciennes inscriptions retrouvées sont du milieu du 19e siècle, époque à laquelle l’extraction de la pierre commençait à devenir industrielle, principalement dans les communes limitrophes de Paris. Sous la Capitale, du fait des consolidations importantes, il ne reste que très peu d’ateliers d’extraction intacts. Ailleurs les champignonnistes désinfectant les carrières au lait de chaux ont en-levé toutes traces de leurs prédécesseurs.
REPÈRES DE TOPOGRAPHIE
Avant de consolider une carrière par la méthode traditionnelle, il faut en faire la topographie, de manière à disposer les piliers de maçonnerie exactement au-dessous de la construction. Il est alors nécessaire de porter sur les parois des points de repère permettant de déterminer ultérieurement la position des consolidations.
Les plus nombreux ont été faits avec de la peinture à base d’ocre rouge ou légèrement marron. Ils se composent d’un point, parfois au noir de fumée, pouvant contenir un trou pour un clou et entouré de quatre barres de 15 centimètres de longueur disposées perpendiculairement formant ainsi une croix. A côté se trouve un chiffre ou une lettre représentant l’ordre chronologique du relevé. Ils sont situés en ciel de carrière et sur des consolidations antérieures à 1830. Des repères ayant des références différentes peuvent se trouver proches les uns des autres. Dans une même zone, plusieurs chronologies se superposent correspondant à des topographies différentes. Les numéros absents sont soit oubliés (mais la croix existe), soit masqués par les consolidations. Dans une galerie rectiligne, la branche dans l’axe peut atteindre 1 à 3 mètres de longueur. La croix est parfois remplacée par un cercle de 25 centimètres entourant le point. Dans les exploitations par piliers tournés, les masses subsistantes sont numérotées, le sigle est à 1,50 mètres du sol, la croix n’existe pas. Cela devait être un moyen de se repérer rapidement dans la carrière.
La datation de ces repères ocre n’a pas encore été déterminée de manière précise. Ils apparaissent dans toutes les carrières de Paris et de la proche banlieue. Ils ont été retrouvés dans une exploitation en activité en 1841 et sur des moellons de réemploi d’une consolidation de 1861. Leur réalisation peut être datée entre 1830 et 1860, mais ils ont très bien pu être utilisés depuis 1776, date des premières topographies du Service des Carrières.
En 1871, l’hôtel de ville de Paris est incendié lors des combats de la Commune. Les archives de l’Inspection des Carrières, transférées quelques jours auparavant, sont détruites. Il faut alors refaire toute la topographie des vides de Paris. Les topographes munis de leurs bougies et alidade (règle graduée munie d’une équerre double percée de fentes servant à viser et à aligner des points), parcourent toutes les galeries visitables. A chaque point de mesure, à un mètre du sol de la carrière, ils font une petite croix, une flèche, souvent ils mettent une lettre : H, D, HD, S, peut-être l’initiale du responsable de la brigade. Ces points, réalisés au crayon gras ou à l’ardoise, sont espacés de 2 à 3 mètres. Ils apparaissent à chaque changement de direction, angle de galerie, protubérance. Ils sont la base des plans actuels de l’Atlas des carrières de Paris.
Pour les topographies contemporaines, selon les entreprises qui les exécutent, nous trouvons des clous soit au ciel de carrière sans indication, soit au sol alors entourés d’un cercle de peinture jaune. Dans ce cas, une flèche dirigée vers le sol munie d’un numéro est mise à proximité.
RÉALISATION DES CONSOLIDATIONS
L’emplacement de la consolidation à exécuter est indiqué par une barre munie de traits inclinés au noir de fumée, à la peinture ocre ou au crayon au ciel de la carrière. Généralement ces indications ne sont plus visibles car recouvertes par la construction, elles le sont lorsque les travaux n’ont pas été réalisés.
Les tailleurs de pierre découpaient dans la carrière les blocs aux dimensions désirées. Il est possible de trouver des signes sur chaque moellon, généralement un chiffre, lequel peut être à l’endroit ou à l’envers. Les chiffres répartis indifféremment sur la consolidation sont des repères lorsque les ouvriers étaient payés à la tâche. Par contre, si un même numéro correspond à une rangée, il s’agit de repères d’assemblage. Nous les rencontrons principalement dans les voûtes, chaque bloc ayant une coupe correspondant à un emplacement précis. Une épure grandeur nature du travail se trouve souvent à proximité, parfois même à une cinquantaine de mètres. C’est sur ce modèle que les tailleurs de pierre prenaient les dimensions des blocs à réaliser.
Des signes au crayon ou au fusain donnent des informations sur la consolidation ; l’orthographe, le graphisme peuvent être très fantaisistes. Par exemple nous avons la hauteur, la longueur et la largeur de la maçonnerie, nous connaissons l’origine de la chaux utilisée : CHx Slis (chaux de Senlis), CHx Mliere ( ?).
Dans une galerie, les tranches de travaux sont séparées par des traits avec indication de distance. Ils peuvent être gravés et noircis ou au crayon. Dans ce dernier cas, c’est une barre verticale sur laquelle se croisent deux autres traits. Lorsqu’un M est coupé par une barre, nous sommes au milieu de deux autres repères ou au milieu d’une consolidation. Dans certains cas, ces signes peuvent être confondus avec les limites de propriété des terrains de surface. Des informations, très souvent gravées, précisent que la consolidation est exécutée autour d’un ancien trou (d’extraction) comblé (A.T.C.), d’un puits de service comblé (P.S.C.) ou d’un ancien trou de service (A.T.S.), sous un fontis (effondrement de carrière) remblayé (FONTIS R.) avec une flèche vers le bas pour un fontis remblayé depuis la surface ou vers le, haut pour celui remblayé à partir de la carrière.
SIGLES DE DATATION DES TRAVAUX
Dès 1776, Dupont chargé de la topographie des carrières de Paris fait exécuter par l’entreprise Coeffier des consolidations aux endroits les plus dangereux. Un numéro d’une hauteur de 20 à 40 centimètres particulièrement bien élaboré est gravé sur une profondeur de 1 à 2 centimètres sur chaque pilier et parfois au ciel de carrière.
A partir de 1777, Guillaumot, nommé Inspecteur des carrières, assure la maîtrise des travaux de consolidation. Il fait ajouter son initiale G et l’année de réalisation. Le sigle devient du type "1.G.1777". Il est toujours gravé sur une hauteur de 6 à 15 centimètres et noirci. La forme du graphisme change selon les lieux et dates. Dans les premières années, il est irrégulier, les lettres ont une hauteur inégale, le graveur ayant seulement tracé deux traits horizontaux pour se guider. Progressivement, on voit apparaitre des graphismes de plus en plus réguliers. Nous trouvons souvent à proximité le même sigle écrit au fusain.
Lors de la période révolutionnaire, le principe de datation est conservé, l’initiale change selon le responsable du Service des Carrières. De 1794 à 1806, l’année est comptée avec le calendrier républicain et notée de 2R à 14R. A partir de 1808, les sigles sont gravés avec une hauteur de 6,5 ou 7 centimètres. Ils seront de ce type jusque vers 1896 où la hauteur varie alors de 3,5 à 5,5 centimètres.
Vers 1885, ils peuvent également être à la peinture noire au pochoir et vers 1896 à la peinture rouge à la main levée sur une sur-épaisseur en ciment. Les travaux concernant principalement le métro, de 1896 à 1907, sont signalés par des plaques en fer émaillées avec des lettres blanches sur fond bleu.
Là, des inscriptions commémoratives gravées ou émaillées rappellent le but, les dates, les inspecteurs et les entreprises. Ce sont les derniers grands travaux effectués en consolidation traditionnelle sous la maîtrise de l’Inspection des Carrières.
A côté de ces inscriptions existent également des indications au crayon particulièrement entre 1858 et 1865 sous la forme "1ere qe de 7bre 61", première quinzaine de septembre 1861 ou " 2eme qe août 61", deuxième quinzaine d’août 1861. En début et fin d’année, il peut y avoir discordance entre le sigle gravé et la date au crayon. Cette dernière est la date réelle de réalisation alors que l’autre est une tranche de travaux correspondant aux crédits. A cette période, le creusement d’une galerie de recherche dans la masse calcaire est également datée selon le même principe avec en plus la distance parcourue. Ces indications sont particulièrement intéressantes puisqu’en 15 jours, les ouvriers ont creusé une galerie de 1 mètre de largeur et 2 mètres de hauteur sur une longueur variant de 50 centimètres à 8,95 mètres.
LOCALISATION PAR RAPPORT A LA SURFACE
Le principe de consolidation instaure par Guillaumot consistait à réaliser des murs de soutènement sous la voie publique, à la limite des propriétés et de remblayer les vides existants. Deux galeries parallèles permettaient la vérification de l’état de ces consolidations. Des galeries dites de "recherches" sont taillées dans les masses calcaires à l’aplomb des rues de surface. On s’assurait ainsi qu’il n’y avait pas de carrières inconnues et les matériaux extraits servaient aux consolidations. Régulièrement des escaliers à vis, des puits avec ou sans échelons assurent l’accès aux ouvriers et aux matériaux. Telles que nous les trouvons aujourd’hui, les anciennes carrières de Paris représentent un immense réseau où, sans points de repère, il est très facile de se perdre.
Dès les premiers travaux de l’Inspection des Carrières, il est paru nécessaire d’assurer le positionnement par rapport à la surface. Le sous-sol étant l’image du sol, le nom de la rue est gravé sur des plaques ou à même le calcaire. Les galeries sont différenciées par l’indication "côté du Nord, côté du Midi, côté du Levant, côté du Couchant" selon leur orientation. Le graphisme de ces inscriptions a évolué de la même manière que les datations de consolidations. Selon leur longueur et la surface disponible, la gravure est répartie sur plusieurs lignes avec parfois diminution de la hauteur des lettres lorsque la place manque. La hauteur du graphisme varie entre 5,5 et 7 centimètres jusque vers 1850, puis est compris entre 3,5 et 5,5 centimètres après cette date. Les appellations deviennent côté du Nord, du Sud, Est et Ouest.
Les milliers de plaques gravées forment une image de Paris au moment de la réalisation, les périodes de troubles et les conflits sociaux ont laissés des traces. Ainsi les plaques gravées à la Révolution ne comportent pas le mot "Saint". Il est mutilé sur les plaques déjà réalisées. Il sera ajouté ultérieurement avec l’abréviation ST.
A partir de 1896, Wikersheimer fixe des plaques émaillées dans les galeries qu’il consolide mais également lors d’un changement de dénomination. Malheureusement, l’adhérence du ciment sur le fer n’est pas excellente, de nombreuses plaques se décollent. D’autres rouillent en raison de l’humidité importante de ces lieux. Ce défaut a du être constaté dès 1900 car certaines plaques consolidant le métro sont en terre cuite émaillée.
Vers le milieu du 18e siècle est instauré sans succès une numérotation des maisons le long des rues. Un autre numérotage est mis en vigueur lors de la Révolution. Celui que nous connaissons aujourd’hui a été mis au point en 1805. Il est repris en 1842 en raison des changements de lotissement. Dans les carrières, quelques galeries comportent les numéros des immeubles de la surface. Selon la date de réalisation, plusieurs numérotations peuvent se superposer. Par exemple, la rue Saint-Jacques comporte une série de numéros gravés avec sur chaque plaque une fleur de lis qui a été grattée à la Révolution. La numérotation repérée par une étoile à cinq branches correspond à celle utilisée entre 1805 et 1842. Le graphisme a une hauteur de 5 ou 5,5 centimètres, gravé ou peint en noir. Dans certains cas les limites de propriétés sont visualisées par un trait gravé de 2 centimètres de large sur une hauteur de 50 centimètres. La numérotation est aussi réalisée au crayon, entourée d’un cadre carré de 15 centimètres de côté. A partir de 1842, les chiffres sont dessinés à la peinture noire avec un pochoir, leur hauteur est de 8 centimètres. Un trait de peinture matérialise les limites.
REPÈRES DE NIVELLEMENT
Guillaumot fit graver des indications concernant la profondeur de la carrière par rapport à la surface. Précédées du terme "HAUTEUR", elles sont en pieds, pouces et converties en système métrique alors naissant, la correspondance se faisant au dixième de millimètre, précision vraiment fantaisiste. Ces plaques gravées se trouvent toujours près d’un escalier. Ce seront les seuls repères inscrits à cette époque.
Une topographie réalisée vraisemblablement entre 1850 et 1870 laisse des repères plus précis. Un trait horizontal, à un mètre du ciel de la galerie, est entouré de deux chiffres et des lettres, gravés à la dimension de 5,5 centimètres et noircis. La lettre représente l’ordre chronologique du relevé, le A étant à proximité d’un escalier ou d’un puits. Lorsque l’alphabet est entièrement utilisé, il recommence avec un petit chiffre en exposant. Certains repères comportent en plus la lettre F. Le chiffre au-dessus de la barre indique en mètres avec une précision du centimètre la hauteur du recouvrement, celui du dessous, la hauteur par rapport au zéro du pont de la Tournelle à Paris. Ce zéro correspond au niveau des basses eaux de la Seine en 1759, soit 25,62 mètres en niveau général de France. L’échelle d’étiage est encore visible quai de Béthune. Parfois l’ordre chronologique ou le recouvrement peut être omis.
UTILISATION DES CARRIÈRES
Dès le début du 19e siècle, les carrières de pierre à bâtir de Paris furent transformées en champignonnières. Celles-ci existeront dans la proche banlieue jusqu’en 1950. Les champignonnistes inscrivent au crayon au ciel de carrière ou sur les parois des indications de travail : la variété du champignon, les dates des différentes étapes de la culture, des tableaux de rendement. Ils peuvent aussi donner des noms de rue ou de lieu à certaines galeries de manière à localiser avec précision les zones de culture. Les noms employés ne correspondant pas obligatoirement avec la surface. Des noms, laissés sur place, ne peuvent être attribués qu’avec la présence conjointe d’inscription mentionnant la profession des auteurs.
Lors de la dernière guerre, des abris de défense passive et des postes de commandement sont construits dans les carrières par les Allemands et les Français. Des inscriptions à la peinture sur fond blanc précisent les sorties normales ou de secours et l’affectation de certaines salles, en allemand ou en français selon l’origine.
FLÈCHES ET REPÈRES DE CIRCULATION
La première réaction d’une personne rentrant dans une carrière est de penser à en sortir. N’ayant pas toujours le plan du lieu, ou pour se localiser rapidement, le plus simple est de faire des marques, flèches ou autres symboles montrant une direction ou une preuve de son passage. Ces indications se situent particulièrement aux carrefours et sont toujours marquées très visiblement. Tous les moyens d’écritures sont possibles.
Un fléchage sous forme d’un trait continu de 10 centimètres de largeur en ciel de carrière a été réalisé pour le circuit de visite des catacombes. Ce fil d’Ariane, communément appelé "ficelle", parcourt non seulement les galeries de l’Ossuaire Municipal mais également les carrières avoisinantes. En effet, Héricart de Thury, inspecteur des carrières entre 1809 et 1831, auquel on doit l’aménagement actuel des Catacombes, avait prévu un circuit de visite des carrières de Paris en passant par les endroits les plus remarquables. Il avait fait établir des salles d’expositions minéralogiques, des puits à eau très bien ouvragés, des galeries esthétiques. Son projet était de faire une entrée monumentale des Catacombes dans les anciennes carrières à ciel ouvert dites "la Fosse-aux-Lions" à proximité de la rue Cabanis. Ce fil d’Ariane se retrouve régulièrement dans les galeries, mais il est actuellement difficile de le suivre longtemps, les travaux de consolidation ultérieurs le coupent en tronçons plus ou moins longs.
Le trajet des ouvriers travaillant aux consolidations est parfois fléché du point d’accès au lieu des travaux. Les flèches sont à la peinture rouge, parfois au noir de fumée en ciel de carrière. Ce type de fléchage peut également être un repère de circulation correspondant à une direction bien précise, des initiales indiquent la destination.
Des flèches plus discrètes réalisées au crayon sont à attribuer à des visiteurs occasionnels. Deux principes sont utilisés, d’abord le fléchage direct correspondant au sens de la progression, le retour se faisant en prenant les flèches à l’envers, puis le fléchage rétrograde indiquant toujours la sortie. Ce dernier est disposé de manière à être rapidement visible lorsque l’on revient sur ses pas. Les flèches sont droites ou coudées lorsqu’il y a changement de direction, elles peuvent comporter des initiales, une date ou un ordre chronologique évitant toute confusion et risque de s’égarer.
36 Flèches de circulation.
Depuis 1980, la fréquentation des carrières de Paris s’est accrue de manière très importante. Les visiteurs clandestins n’ayant pas de plan et ne connaissant pas les possibilités de se repérer par rapport à la surface font naturellement leurs propres repères. Le crayon n’étant pas très visible, ils utilisent alors de la peinture en aérosol, de transport et d’emploi facile. Des flèches et des signes de couleurs diverses recouvrent les parois des galeries principalement aux carrefours sans respect des plaques gravées, des graphismes et graffiti de leurs prédécesseurs. Par endroit, le nombre de signes est tel que l’on peut se demander si l’auteur peut reconnaitre le sien.
PERSONNALISATION DE PASSAGE
Subtilité de l’esprit humain, pourquoi écrire son nom et une date dans un lieu obscur où personne ne viendra le lire ? Que peut-il eprésenter pour celui qui le trouvera peut-être un jour ? En effet le nombre de noms inscrits dans les carrières de Paris est considérable. Esprit de contradiction, plus l’accès a été interdit par les règlements et les lois, plus la fréquentation a été grande et de là la quantité de graffiti : montrer que l’on a bravé l’interdit… Le côté exceptionnel et mystérieux d’une promenade dans le monde souterrain se reflète dans les inscriptions que l’on peut y trouver aujourd’hui.
C’est donc lors d’une visite "touristique" d’une carrière que l’on trouve la raison d’inscrire son nom ou ses initiales avec la date de passage et il n’est pas rare de le retrouver plusieurs fois dans la carrière à des dates identiques ou différentes mais également le même dans d’autres carrières. Les moyens d’écritures sont le noir de fumée lorsqu’il est en ciel de galerie ou le crayon sur les parois, les lieux de prédilection étant les surfaces planes comme les plaques de localisation et de datation. La dimension va de quelques centimètres à plusieurs mètres. Dans la plupart des cas, les graffiti sont groupés souvent dans une petite salle et la présence d’inscriptions doit in-citer à mettre la sienne. La superposition peut être telle qu’il est très difficile de les déchiffrer, les récentes recouvrant les anciennes pratiquement illisibles.
Parmi la multitude, il faut citer la signature d’Emile Gérards, Sous-inspecteur au Service des Carrières, célèbre par ses ouvrages sur les carrières de Paris, de même Caron, Trouvé, Ozouf, Chétif travaillant à l’octroi vers 1853 et effectuant des visites envers la contre-bande par voie de carrière, ils laissèrent leur nom dans toutes les galeries, principalement dans les culs de sac. Le plus ancien graffiti connu à ce jour se situe dans les carrières de l’Observatoire : "NOE CAMAR 1671".
Les bastions des fortifications et les forts avancés construits au-dessus des carrières avaient un escalier d’accès et nombreux sont les soldats qui les ont visitées en laissant leur trace de passage. Au moment du siège de 1870, les Prussiens allèrent dans les carrières de la périphérie de la Capitale et marquèrent leur nom et ville d’origine. "E. Bochon, Postdam, 18-11-70", "Von fels zu Meer, L. Salis I Comp 47 Reg, 13 November 1870" ou "Mit Gott Fur König und Vaterler ( ?)" (Avec Dieu pour Roi et ….). Les combattants de la Commune établirent des voies de communication entre les forts et Paris, ils signèrent : "guérilla 1870" ou "Souvenir des Communards".
Lors de la dernière guerre, les civils se rendant dans les abris de défense passive inscrivirent leur nom, adresse ou initiale. Des inscriptions accompagnent ces signatures "En souvenir d’une charmante alerte qui a eu l’audace de me faire rater mon train", "En sou-venir d’une journée de déménagement qu’une alerte a dérangé" ou "Au remerciement du génie qui nous fit avoir une alerte pendant les sciences. Les martyrs du brevet".
ÉVÉNEMENTS EXCEPTIONNELS
"Gaspari, mort par un éboulement". Imaginez, des ouvriers travaillant à la consolidation d’une carrière, une chute de pierres, un cri de terreur, puis le silence… Les évènements tragiques ont été nombreux mais peu ont été immortalisés avec cette spontanéité. Sur les 300 kilomètres de galeries, il n’est pas étonnant de retrouver des inscriptions comme celles-ci : "Laurent Tabrard a été perdu pendant 24 heure(s). Le 28 juin 1858", ou "On a retrouvé Bascari endormi". Par contre celle-ci parait très fantaisiste : "M Eugène Garoleuse, Pauls directeur de l’espédition sont mort ici en Français le 2 aout".
La politique a toujours passionné les foules, le moindre évènement peut laisser des traces : "Fuite de Louis-Philippe, Roi des Français en 1848". Les passions sont également exprimées : "Vive le Roi", "Vive la République", "Vive la France".
Les carrières de l’Observatoire ont été utilisées pour des expériences de physique. Les opérateurs ont ressenti le côté peu ordinaire de la situation : "A. Dantzer a posé le cable le 1er décembre 1880" ou "Laquaine et Garnier ont posé le thermomètre à acide sulfureux à contrôle électrique de M. Wolf. Xbre 1890".
DESSINS ET MAXIMES
Parmi tous ces graphismes et graffiti se trouve une multitude de dessins de tous genres. Selon l’humeur du dessinateur, ses dons artistiques, les représentations vont de la silhouette au noir de fumée au dessin finement réalisé au crayon. Plus de 50% sont des figurines avec bien souvent un nom, une date, 20% sont des étoiles à cinq ou six branches, 10% des signes pornographiques, le reste se répartit entre des personnages, oiseaux, maisons, ancres de marine, bateaux, fleurs de lis, écussons. Leurs dimensions varient de quelques centimètres à plus d’un mètre.
Il arrive que l’on rencontre des maximes où l’orthographe laisse un peu à désirer : "Celui qui croi Tout connaître n’est qu’une bette cat sou", c’ est à dire : "Celui qui croi t tout connaitre n’ est qu’une bête à quatre sous". De même "L’homme s’agite, Dieu le mène".
Depuis 1980, les élèves de l’école des Beaux-Arts ou des artistes en quête de succès ont envahi les carrières de Paris pour apposer de gigantesques fresques réalisées à la peinture, les plus grandes atteignant 20 mètres-carrés. Les lieux les plus recherchés sont les grandes salles permettant le rassemblement de nombreuses personnes, ce décor est l’élément complémentaire des "sur-boums" organisées dans ces carrières. Certains dessins sont aussi l’œuvre d’artistes "solitaires", ils sont d’une qualité technique remarquable souvent situés dans des galeries retirées. D’autres, représentant des ensembles de lettres agrémentés d’étoiles, réalisés à la peinture aérosol sont du même genre que ceux peints sur les palissades de chantier ou les murs tris-tes du "Paris-surface". L’homme en blanc qui fréquentait les berges de la Seine en 1983 a également hanté les carrières. D’autres dessins réalisés au pochoir se répètent des dizaines de fois.
SYMBOLISME RELIGIEUX ET ÉSOTÉRIQUE
Il n’est pas rare de rencontrer des représentations de symboles religieux, les plus fréquents étant des croix, calvaires avec socles ou marches, certains avec les objets de la Passion du Christ, la lance et le roseau muni d’une éponge. Le monogramme I H S, "Iesus Hominum Salvator", "Jésus Sauveur des Hommes" est très courant avec comme particularités le S à l’envers ou une croix superposée au H. Ces signes sont souvent exécutés au noir de fumée en ciel de carrière dans des zones peu consolidées. Leur contraste faible indique qu’ils ont plusieurs centaines d’années. Ils sont souvent accompagnés d’étoiles, d’ensembles de points alignés, en triangle, en carré, en cercle, d’initiales, Si un bâtiment religieux possède un accès aux carrières, les signes sont plus nombreux, alors apparaissent des poissons ou des colombes symbolisant l’Esprit-Saint.
Le monde souterrain a toujours donné lieu à des faits étranges tel un certain César qui, vers 1615, montrait le diable dans les anciennes carrières de la Fosse-aux-Lions. Nous avons retrouvé quelques diables dans ce secteur, certains sont antérieurs à 1780 car partiellement cachés par une consolidation, d’autres postérieurs à 1840. Ils n’ont rien à voir avec cette affaire car trop éloignés de l’accès. Dans le genre signe cabalistique, on peut se demander ce que peut signifier le sigle IHS à côté d’un insecte ressemblant à un hanneton, le tout entouré d’étoiles à cinq branches.
Le fait de penser que les carrières ont servi de lieu de réunion à des confréries plus ou moins sécrètes n’est pas sans fondement. Sous le bois de Vincennes, à la limite de Joinville, se trouvent dessinés en ciel de carrière des arbres et à proximité l’inscription "MASSON 1838". Une galerie s’appelle la "rue Adoniram". De même sous le parc de Saint-Cloud, régulièrement espacés dans une galerie consolidée vers 1840 est inscrit ce même arbre, puis un soleil et d’autres signes comme marquant un itinéraire dans la carrière, malheureusement le tunnel de l’autoroute interrompt le chemin. L’acacia ainsi représenté est le symbole des Francs-Maçons : des branches de cet arbre ont été déposées sur le tombeau d’Hiram, architecte du temple de Salomon. Ces confréries aux rites hermétiques se sont certainement réunies en ces lieux pour leurs séances initiatiques.
BIBLIOGRAPHIE
Dossiers d’inventaire, Archives SEHDACS 1980 à 1986.
Les graphismes relatifs aux confortations souterraines, Alain Clément, Liaison SEHDACS N° 5 - 1985
Le nivellement dans les anciennes carrières de Paris, Alain Clément. CAPRA- contact n° 3 - 1977.
Les graffiti, un patrimoine oublié, S. Ramond.
Revue Archéologique de l’Oise n° 23 – 1981.
Dictionnaire historique des rues de Paris, Jacques Hillairet, Editions de Minuit.